Au terme d’une étude associant des analyses tribologiques en laboratoire, des tests expérimentaux et l’observation, à différentes échelles, d’un échantillon de vases de pierre minoens, nord-levantins et égyptiens, nous avons pu identifier l’existence de transferts technologiques entre différents centres de Méditerranée orientale, comme le forage tubulaire. Se révèlent aussi des comportements différents face à l’introduction et la sélection des techniques exogènes. Alors que certains centres dissocient la forme et le style du vase des techniques dont il relève, d’autres adoptent les nouveaux procédés et morphologies comme un ensemble. Ce travail constitue ainsi la première étape vers la reconstitution de l’histoire des techniques, mais aussi des contacts et des échanges en Méditerranée orientale.
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Élise Morero, « Transferts techniques en Méditerranée orientale. L’exemple de la fabrication des vases de pierre à l’âge du Bronze », Syria [En ligne], 88 | 2011, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 20 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/syria/913 ; DOI : 10.4000/syria.913
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3. Le corpus étudié regroupe des vases provenant de Crète, d’Égypte et du Levant Nord (cartes 2-3). Placé au cœur de ce travail, le mobilier minoen analysé compte près de 300 vases (fig. 1, 2, 4 et 5). Cet échantillonnage représentatif provient de sites variés en termes d’occupation et de datation : du site palatial de Malia, mais aussi de centres urbains plus ou moins étendus comme Mochlos, Pseira et Kommos (carte 2 et 3). Leur période d’exécution couvre une grande partie de l’âge du Bronze, qui va du Minoen ancien II/III au Minoen récent I (IIIe -1re moitié du IIe millénaire).
6. Le rayonnement politique, diplomatique et économique de l’Égypte sur les autres régions de la Méditerranée orientale est prépondérant. La production de vases de pierre se transforme en une industrie florissante, souvent exportée ou imitée aussi bien en Crète qu’au Levant. Afin d’évaluer l’impact de l’Égypte sur le développement des industries en Méditerranée orientale, il nous est apparu capital d’étudier un échantillonnage de cette production. Il s’agit d’un ensemble de 30 vases représentatifs datant de l’Ancien au Nouvel Empire et conservés au musée du Louvre.
8. La méthode de travail que nous avons adoptée reposait sur une approche pluridisciplinaire 15 liant la tribologie, l’archéologie et l’ethnographie 16. La tribologie est définie comme la science qui étudie les phénomènes produits lorsque deux corps en contact sont animés de mouvements relatifs. Elle recouvre, entre autres, tous les domaines du frottement, de l’usure et de la lubrification 17. Or, les procédés de fabrication dont relève la vaisselle de pierre (opérations de découpe, raclage, abrasion et forage principalement) découlent de processus d’usure. Ainsi, en premier lieu, nous avons procédé à une observation à différentes échelles du mobilier archéologique afin de dresser une typologie des traces de fabrication. Une première analyse à l’œil nu a été effectuée, complétée par une observation microscopique des traces d’usure (microstries et micropolis) au Laboratoire de Tribologie et de Dynamique des Systèmes (LTDS) de l’École Centrale de Lyon (UMR 5513). L’usure des surfaces de certains exemplaires a pu être caractérisée grâce à l’application de la méthode des ondelettes continues développées par les chercheurs du LTDS 18. Afin d’interpréter les stigmates de fabrication observés sur le matériel archéologique, une confrontation avec un référentiel expérimental s’est avérée indispensable. Des tests expérimentaux ont donc été réalisés en laboratoire (au LTDS), complétés par une série d’expérimentations de terrain (fig. 6-8, 10-13), menées à Jalès (antenne du laboratoire Archéorient UMR 5133, CNRS). Outre l’élargissement du référentiel, ces tests ont permis d’appréhender les contraintes liées au geste technique et par-delà, d’obtenir des informations concernant l’organisation de la production et des ateliers de fabrication, mais aussi l’apprentissage des artisans.
10. L’Égypte en effet dès le IVe millénaire possède une industrie de vases en pierre particulièrement aboutie, dont des exemplaires ont été trouvés en Crète au Minoen ancien. L’hypothèse d’une transmission égyptienne est renforcée par les ressemblances morphologiques déjà appréhendées par R. Seager, A. Evans, puis P. Warren entre les petits vases mis au jour à Mochlos et les vases égyptiens.
13. Le premier groupe relève en effet de techniques très étroitement apparentées, voire identiques aux techniques égyptiennes 44. On observe ainsi l’emploi d’un évidement en deux temps avec un premier recours au forage tubulaire, suivi d’un élargissement des cavités au moyen des mèches en pierre 45. En revanche, un bol de morphologie locale témoigne de l’emploi de mèches probablement en bois plein (carte 2 et tabl. 5).
Note 44. On distingue toutefois deux récipients dont la technique de forage semble proche de celle utilisée en Égypte, mais dont le processus de finition, à savoir le polissage de la cavité, n’a pas été mené à terme. Des traces de raclage profondes ont été laissées telles quelles, associées à des stries annulaires de forage dans le haut de la cavité. Par contre, en Égypte, l’intérieur des récipients est généralement soit laissé brut après le forage, soit entièrement poli mais rarement avec des stries de raclage profondes. Pour l’un des deux vases nous pouvons également envisager l’emploi d’une technique associant le foret et le ciseau pour l’évidement. Par ailleurs, l’un des deux vases, une amphore, présente des traits morphologiques assez particuliers suggérant une production levantine.
14. En effet, on peut exclure l’emploi de forets pleins métalliques pour le travail des vases de pierre. Le cuivre et le bronze, trop denses, ne permettent pas une accroche des particules abrasives responsables du creusement de la roche. En revanche, la nature fibreuse du bois permet de retenir les particules qui œuvreront au forage de la pierre 51. Les irrégularités de la mèche en pierre peuvent également retenir les particules abrasives.
15. Ce travail constitue la première étape vers la reconstitution de l’histoire des techniques en Méditerranée orientale à une période d’innovations techniques importantes. L’étude des technologies, des voies de transferts qu’elles ont pu emprunter, des modalités de leur introduction, sont des informations importantes vers la restitution des contacts et des échanges mais aussi de l’organisation de la production artisanale et du statut des artisans. De même, si une partie des choix présidant à l’adoption ou au rejet des technologiques étrangères peut être liée à des contraintes matérielles, des paramètres idéologiques peuvent également intervenir.