Qui a érigé les mégalithes, ces monuments en grosses pierres que sont dolmens, menhirs, alignements et cromlechs ? Des géants, des diables ou des fées, comme souvent leurs noms semblent l'attester ? A quoi servaient-ils ? Lieux de culte pour les druides, autels pour les sacrifices, comme le prouveraient des ossements humains trouvés à l'intérieur des dolmens ? De fouilles en expériences, les chercheurs ont levé - en grande partie - le mystère des mégalithes.
Ce sont les hommes du néolithique qui, entre le Ve et le IIe millénaire avant notre ère, ont élevé ces constructions monumentales, conçues symboliquement pour protéger les plus prestigieux de leurs morts, ou pour les évoquer. Et le culte des ancêtres légitimait leur possession du sol, tout en affirmant leur identité culturelle. Jean-Pierre Mohen retrace l'évolution de ces pierres de mémoire qui constituèrent la première architecture du monde.
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Y a-t-il un « mystère » des mégalithes ?
Jean-Pierre Mohen — Il existe en effet un « mystère » des mégalithes. Mais il n'est pas celui des origines légendaires de ces constructions que l'on a attribuées tour à tour aux géants, à Gargantua, aux nains, aux fées et même aux extraterrestres. Le « mystère » des mégalithes est pour moi celui de la naissance de l'architecture, au sens étymologique grec du mot, c'est-à-dire « création ».
Que sait-on des sociétés qui ont érigé les mégalithes et des circonstances qui ont présidé à l'apparition de ces pierres ?
Jean-Pierre Mohen — Au début du Ve millénaire avant notre ère, lorsque les constructions mégalithiques apparaissent, la plupart des groupes de chasseurs de la préhistoire ancienne sont devenus des agriculteurs et des pasteurs. Ces groupes, en construisant des villages, se sont progressivement sédentarisés en l'espace d'un millénaire, le VIIe avant notre ère. Ne sachant pas renouveler la fertilité du sol et ayant besoin de nouvelles terres, il semble qu'ils se soient avancés depuis le Proche-Orient vers l'ouest, génération après génération. Arrêtés par la façade atlantique, ils ont dû inventer une solution pour survivre et gérer une sédentarité permanente. En organisant le culte des ancêtres grâce à ces monuments, les hommes ont légitimé leur possession du sol limité par le territoire tout en affirmant leur identité culturelle.
Sait-on comment, techniquement, ces hommes ont pu élever ces pierres monumentales ?
Jean-Pierre Mohen — Les hypothèses les plus délirantes ont été émises sur la mise en œuvre des mégalithes : celles du glissement de la dalle sur le sol glacé, ou sur un tapis de graines de céréales jouant le rôle de billes, celle du déplacement de la dalle portée par l'eau d'une écluse déplaçable et bien entendu celle de la lévitation. En Angleterre, l'archéologue Atkinson avait prouvé expérimentalement que certains blocs de une à deux tonnes avaient pu être acheminés sur des radeaux. À Bougon, nous avons proposé, en 1979, une reconstitution expérimentale de la traction d'un bloc de 32 tonnes et son élévation. La traction fut réalisée grâce à un système de rouleaux (troncs de chêne) se déplaçant sur deux rails démontables, autres troncs équarris, et grâce à 200 personnes. L'élévation du bloc fut réussie grâce à trois grands leviers actionnés en même temps par vingt personnes pour chaque levier. En 1997, une nouvelle tentative fut faite à Bougon avec succès pour réduire le nombre de personnes en actionnant les rouleaux avec des leviers enfoncés dans le cœur même du rouleau, l'avancée de la pierre de 32 tonnes n'a exigé que quelques dizaines de personnes.
D'où vient cette passion ?
Jean-Pierre Mohen — Je me suis passionné pour les mégalithes afin de comprendre la disposition des grosses pierres là où nous les trouvons aujourd'hui. Nous avons à rencontrer, par recoupement, par analogie, par déduction, les acteurs néolithiques de ces monuments : commanditaires, ingénieurs, architectes, prêtres, astrologues, familles dominantes et les autres, et même chirurgiens des trépanés... L'association de l'architecture, de la science, de la religion et du prestige social a permis la mise en place de la première organisation de l'espace de nos campagnes. La diversité du mégalithisme apparaissait de plus en plus comme l'expression inespérée de toute une civilisation, aussi brillante que la civilisation gallo-romaine ou la civilisation médiévale avec ses monuments et ses habitats.