Thomas, un des disciples de Jésus, n'est pas une figure principale du Nouveau Testament. Cependant, dans les siècles qui ont suivi la rédaction des évangiles, une tradition littéraire s'est développée autour de son personnage, allant jusqu'à faire de lui le frère jumeau de Jésus (cf. Jn 11,16). Cette tradition le présente comme le dépositaire d'une révélation cachée et comme possédant des pouvoirs supérieurs. Une autre caractéristique des textes émanant de cette tradition est que beaucoup de ces enseignements proposent une justification ou une exaltation d'un ascétisme extrême. Thomas y est représenté comme la personne choisie par Jésus pour conduire ses disciples loin des tentations de ce monde rempli de péché.
Le Livre de Thomas constitue le septième et dernier traité du codex II de Nag Hammadi. Ce texte est conservé avec l'ensemble du Codex II au Musée copte du vieux Caire. Les six autres textes de ce codex sont: l'Apocryphon de Jean, l'Évangile de Philippe, l'Hypostase des archontes, l'Écrit sans titre sur l'origine du monde, l'Évangile de Thomas et l'Exégèse de l'âme. La langue est le sahidique, un dialecte copte, mais celui-ci est constamment contaminé soit par des influences d'autres dialectes coptes, soit par des tournures grecques, ce qui permet de croire que le codex est la traduction d'un original grec. Le traité est assez bien conservé, avec quelques lacunes qui n'affectent pas la compréhension de l'ensemble. La date de la rédaction définitive du manuscrit pourrait être, selon le professeur Kunztmann, de 275 de notre ère, mais certaines parties du texte seraient antérieures à cette date.
Le récit commence par l'affirmation que ce texte contient les enseignements du Sauveur à Thomas, rapportés par Mathias. Le personnage de Mathias, ou Matthieu selon la graphie, est souvent associé aux apôtres, tout comme Thomas. Le Sauveur dit à Thomas qu'en raison de leur exceptionnelle relation, il ne peut le laisser dans l'ignorance de lui-même, car la connaissance de soi permet d'acquérir la Vérité sur "la profondeur du tout" (138,18).
Thomas demande et reçoit les enseignements du Sauveur dans une série de sept échanges (138,22-143,7). Les trois premiers de ces échanges utilisent de nombreuses images et métaphores qui opposent la condition des ascètes avec la condition des autres hommes séduits par l'attrait des plaisirs charnels. La description de la servitude spirituelle de ces derniers devient à certains moments extrêmement virulente (140,25-36). Les quatre derniers échanges (141,2-143,7) concernent les aspects sociaux de cet enseignement, et soulignent la nécessité pour l'ascète de former ou de se joindre à une communauté de parfaits. Il y est également question du sort réservé à ceux qui ne rejoignent pas ou ne respectent pas ces communautés, les réprouvés. Une fois encore, le langage utilisé devient très violent (141,25-34; 142-143,7). Cette condamnation ne concerne pas seulement les païens, car les chrétiens ne sont pas davantage sauvés s'ils n'adoptent pas une conduite ascétique. À la fin du texte, le Sauveur prononce douze malédictions dirigées contre ceux qui n'ont pas respecté ses instructions (143,8-145,7), ainsi que trois béatitudes dirigées vers ceux qui se sont gardés purs et éloignés de tout péché.
Dans son analyse, le professeur Kuntzmann met en lumière la cohérence stylistique et thématique de l'ensemble du texte, alors que la plupart des chercheurs avaient admis l'hypothèse d'une compilation de deux sources. Il démontre également qu'il existe une parenté indéniable entre le Livre de Thomas et d'autres textes de Nag Hammadi. La preuve en est l'utilisation des mêmes thèmes (la bestialité, le désir, etc.) et des mêmes métaphores (les liens du désir, l'emprisonnement dans les tombeaux, l'aveuglement, etc.). Ce traité se caractérise ainsi par son ascétisme extrême et une réduction des hommes en deux classes, les élus et les réprouvés. Les textes les plus proches du Livre de Thomas sont l'Évangile de Philippe, l'Évangile de Thomas, l'Authentikos Logos, l'Exégèse de l'âme, le Témoignage véritable, les Leçons de Silvanos. Selon le professeur Kuntzmann, il s'agirait plutôt, en ce qui concerne ce texte, de la dérivation d'une source commune que d'une dépendance mutuelle. De nombreuses parentés littéraires sont perceptibles dans le Livre de Thomas. On y trouve ainsi un enracinement biblique qui est essentiellement néotestamentaire, où les textes canoniques sont généralement l'occasion d'une reprise orientée vers les thèmes encratites fondamentaux du Livre de Thomas. D'autres influences se font également sentir: l'hermétisme et le platonisme. En effet, l'ouvrage emprunte à la philosophie de Platon nombre d'images et de métaphores. Ces références montrent que l'auteur du texte, et sans doute ses lecteurs, étaient des gens cultivés pour qui la culture grecque constituait une référence. Le livre est construit sur deux thèmes: le salut par la connaissance et la condamnation radicale de toute compromission avec la chair. Ces thèmes, et surtout le deuxième, semblent être l'expression d'une communauté qui a fondé toute sa vie sur un ascétisme radical. Ce texte semble avoir été écrit pour combattre un autre courant monastique qui, tout en acceptant le principe du salut par la connaissance semblait toutefois refuser l'ascétisme absolu des responsables du groupe de l'auteur. Selon cette hypothèse, le professeur Kuntzmann pense que ce texte n'est pas à proprement parler un texte gnostique, mais le résultat d'une radicalisation de certaines tendances encratites du monachisme.