By Anarkia333 |
2010

LE MÉGALITHISME FACE AUX SÉISMES

Comme il a été évoqué plus haut, les ouvrages mégalithiques appareillés ont été édifiés uniquement à proximité d’affleurements pouvant fournir de grandes pierres. Mais ces sites correspondent également aux zones sismiques engendrées par la faille majeure séparant l’Afrique et l’Arabie et qui est nommée par les spécialistes « le grand accident levantin » 34. Elle se concrétise dans la topographie de la région par la dépression de la mer Morte qui se prolonge vers le nord par la vallée de la Bekaa et la vallée de l’Oronte. Cette ligne d’instabilité concerne aussi les chaînes de montagnes qui bordent cette dépression : plateau jordanien, monts du Liban et de l’Anti-Liban, et les montagnes de l’ouest de la Syrie. Soulignons la grande fréquence et la forte amplitude des tremblements de terre de la région qui ont été rapportées en détail dans les chroniques antiques 35 et médiévales 36. Ces catastrophes naturelles devaient être particulièrement redoutées. Les bâtisseurs antiques bénéficiaient déjà de suffisamment de recul pour connaître parfaitement cette particularité sismique de la région et pour essayer des formules inédites de construction susceptibles de résister aux secousses telluriques. Dans ces zones sensibles, n’y aurait-t-il pas eu, de leur part, une volonté d’opposer aux secousses telluriques la force statique de ces énormes blocs ?

Mais est-ce que le mégalithisme peut être considéré comme une solution efficace dans ce domaine ? Si l’on prend l’exemple des monuments de Baalbek, on remarque que le socle hellénistique du temple de Jupiter, qui a été renforcé à l’époque impériale par des mégalithes 37, n’a pratiquement pas bougé alors que les superstructures ont été totalement ébranlées et détruites, pour la plupart. Dans le même site, les superstructures du temple de Bacchus ont beaucoup mieux résisté. Même si la colonnade et les dalles des plafonds sont tombées, les murs ont assez bien résisté, y compris au niveau du linteau de la grande porte qui constitue le point le plus fragile du monument et dont seulement la clef est descendue, mais sans tomber 38. Peut-on parler de hasard, sachant que les Romains ont placé là seulement trois énormes pierres qui constituent la clef et les deux contreclefs, lesquelles se prolongent presque jusqu’aux angles du bâtiment en englobant les pilastres et leur chapiteau 39 ? Par ailleurs, la base des murs de ce temple est composée de grands blocs dont le poids approche et dépasse parfois les 5 t et les quatre mégalithes constituant chacun des piédroits sont taillés en redans adaptés aux assises contiguës pour mieux les relier au mur 40. Même dans les montagnes du Liban, où des découpes en degrés sont parfois employées pour les piédroits monolithes, ce dispositif semble rarissime. Mais c’est surtout l’assemblage interne de quelques blocs inférieurs situés aux abords des angles de la cella et au contact des socles de colonne qui est particulièrement intéressant 41. Vus en plan, leurs joints montants sont biais, à la manière d’une platebande qui serait appareillée horizontalement et les corniches des socles de colonne sont assemblées en onglet à 45° 42 (fig. 10). Grâce à ce dispositif, lors des secousses telluriques, les pierres ne peuvent être déplacées vers l’extérieur puisqu’elles se bloquent mutuellement. Ces dispositifs, qui exigent un surcroît de travail, sont tout à fait rarissimes et totalement invisibles dans le monument initial et ne constituent pas un exercice de style. Ils ont été conçus et réalisés uniquement pour contrer les effets des séismes, en corrélation avec l’emploi des trois mégalithes placés au-dessus de l’entrée du temple.

Le processus de destruction du temple de Hosn Suleiman offre un exemple tout aussi significatif dans ce domaine. Sa cella est édifiée en moyen et grand appareil, alors que son téménos comporte essentiellement des mégalithes. Le mur du téménos s’est partiellement éboulé à la suite d’un phénomène de poussée de ses blocs par les terrains en terrasse qu’il retient, mais aucun de ses éléments ne présente les caractéristiques propres aux effets latéraux ou verticaux des séismes. En contrepartie, les structures de la cella sont totalement désarticulées, bien qu’il n’existe, en cet emplacement, aucune poussée latérale autre que celle des séismes.

À ces avantages économiques et à la résistance statique d’une construction mégalithique, on peut cependant opposer la relative rareté de tels ouvrages par rapport aux très nombreux édifices communs élevés avec des pierres d’un poids modéré. Il est vrai que peu de sites réunissent les conditions géologiques et topographiques favorables à une telle entreprise. Par ailleurs, il faut souligner que, si une main-d’œuvre importante n’est pas nécessaire, en revanche, il est indispensable de s’assurer le concours d’ingénieurs extrêmement compétents en matière de bardage et de levage et de spécialistes de la construction et de l’utilisation de machines appropriées. Pour leur fabrication, celles-ci exigeaient, en outre, l’emploi de longues et solides pièces de bois d’œuvre que les constructeurs ne pouvaient se procurer aisément que dans les zones de montagne, notamment dans les monts du Liban et de l’Anti-Liban. C’est probablement la conjonction de l’ensemble de ces facteurs qui fait que l’on trouve plutôt ces ouvrages à proximité de ces montagnes et, dans une moindre mesure, dans leur prolongement au nord et au sud.

(Source : Le mégalithisme antique au Proche-Orient : idées reçues et données nouvelles)