By Anarkia333 |
2009
1:26:00

Après avoir vu ces images, je me suis longtemps demandé, pourquoi les nazis avaient tourné cet étrange film (inachevé ) entièrement composé de séquences muettes et destiné à nous dresser un état des lieux de la vie dans le ghetto de Varsovie. Eux qui considéraient les juifs comme des dégénérés, des parasites, des moins que rien, et les plaçaient tout au bas de l'échelle raciale, parmi la race des "sous-hommes", (Untermenschen) pourquoi se donnèrent-ils finalement la peine de les filmer ? Oui, pourquoi ??
La réponse à cette question est loin d'être aussi claire et évidente. Quelques éléments de réponse sont apparus quand on a récemment découvert une cinquième bobine, à partir de laquelle on s'est aperçu que, ce qu'on prenait pour un document brut et historique (sur la vie quotidienne des juifs dans le ghetto de Varsovie) était en fait le résultat d'une mise en scène savamment orchestrée par les nazis. La manipulation des images est d'autant plus réussie qu'elle passe quasiment inaperçue dans certaines scènes. Les nazis poussant l'outrecuidance et le cynisme jusqu'à décider eux-mêmes de la disposition et de l'orientation des cadavres jonchant les rues. Et là, bien évidemment, le film prend une toute autre dimension, puisque s'articule autour de lui, le pouvoir subversif des images, associé à une manipulation de la réalité en vue d'étayer ou de corroborer une opinion, une doctrine, une croyance. Ce qu' aujourd'hui nous appelons communément propagande. 
Pourtant, à la réflexion, la propagande n'explique pas tout ici, et dans le film, certaines séquences la desservent même totalement. Que penser, par exemple, de la façon dont les nazis filmaient les charniers ? Tout simplement écoeurant. Ces corps décharnés jetés sur des charrettes de fortunes, et amenés jusqu'aux fosses communes, la façon méthodique d'empiler les cadavres, tout cela relève du macabre, de l'ignominie, de l'horreur, et confirme pour le coup, que l'idéologie nazie, loin de se draper dans ses plus beaux oripeaux, prend racine dans la barbarie dont elle se nourrit sans vergogne.

Mon sentiment personnel est que ce film sonne comme une messe funèbre captant les derniers feux d'une population inexorablement vouée à l'extinction et à l'extermination. A l'image de certains scientifiques osant préserver ad vitam æternam dans le précieux formol, les anomalies criantes de certains êtres vivants, les nazis on voulu, peut-être, fixer sur pellicule le monstre biologiquement hybride et dépravé, que le juif représentait à leurs yeux. 


Bonus : 

- Un dossier de presse concernant une exposition sur la Photographie (juive et allemande) dans les Ghettos, et réalisé pour le compte d'une exposition du Mémorial de la Shoah. (pdf)
- Un dossier pédagogique sur les camps et la Shoah vu par les nazis. (pdf)

 

A trouver dans un fonds d'archives des plans à même d'illustrer le propos d'un documentaire, on en néglige parfois d'interroger leur vraie nature et les moti*vations de leur production. Combien de réalisateurs ont ainsi emprunté sans sourciller des images du ghetto de Varsovie aux bobines découvertes dans un bun*ker, en 1954, par des archivistes est-allemands ? Soixante-deux minutes de film sans piste son, tournées pour les besoins de la propagande nazie en mai 1942 — deux mois avant les premières déportations vers Treblinka.
Avec rigueur et détermination, la documentariste israélienne Yael Hersonski a enquêté sur la fabrication de ces images du quotidien dans le ghetto. A travers le témoignage de survivants ayant assisté au tournage et d'un opérateur du film, mais aussi à travers la lecture du journal d'Adam Czerniaków (1) et de la chronique d'Emmanuel Ringelblum (2) , comme à travers l'analyse d'une bobine supplémentaire, retrouvée en 1998, elle donne à mesurer l'ampleur du travail de falsification. Mises en scène macabres, ajouts d'éléments de décor lourds de sens, habitants du ghetto assignés à jouer la grande fiction antisémite, avec opulents égoïstes et misérables va-nu-pieds... Ce faisant, elle nous rappelle notre propension à croire ce qu'on nous donne à voir. Et la nécessité d'interroger les archives avant de les exploiter.

Source : Télérama — François Ekchajzer