By Anarkia333 |
2019

Expérience d'extraction d'un Bloc de Calcaire en 8 jours avec Pierre Tallet, avec l'utilisation d'eau et d'outils en cuivre.

Mise en place de l’expérimentation : le choix de la zone d’extraction et la fabrication
des outils

L’expérimentation a été conduite durant les campagnes de 2018 et 2019 et s’est concrétisée par l’extraction de deux blocs d’environ 1 m3  chacun. La zone qui a été choisie se situe à environ 50 m au sud-ouest de la carrière antique. Cette proximité présentait plusieurs avantages. Outre son intérêt pour des questions d’accessibilité et de logistique, la facilité pour aller et venir entre les deux espaces était utile pour étudier et comparer les traces d’extractions. L’affleurement rocheux que nous avions choisi respectait également les critères requis : pierre tendre à légèrement ferme, une accessibilité tant pour le travail que pour l’évacuation des blocs par la suite, un banc homogène d’environ 1,5 m avec la présence d’une faille apportait une économie de travail. Les quatre ciseaux utilisés pour l’expérience ont été forgés en France à partir de segments de 22 cm de longueur et de 25 mm de diamètre de tube plein en cuivre (fig. 11). Le cuivre est un métal tendre qui a la particularité de durcir quand on le forge. Ce changement de propriété sous l’effet de sa déformation plastique s’appelle l’écrouissage. Comme il est ductile, il peut supporter un écrouissage important. Au cours de cette opération il convient toutefois à ne pas dépasser sa limite d’élasticité au risque d’obtenir un métal déstructuré. Pour la mise en forme des ciseaux plusieurs méthodes ont été testées :

- Méthode 1 : Le métal a été chauffé à la forge et mis en forme à chaud. Après refroidissement total, le cuivre a de nouveau été battu dans l’espoir de le durcir. Cette méthode n’a pas fonctionné, car la mise en forme du ciseau était trop avancée à la forge pour pouvoir être écrouie ensuite. Lors d’un essai sur une pierre ferme, la partie active du ciseau s’est écrasée et pliée.

- Méthode 2 : Le ciseau a été entièrement forgé à froid, sur l’enclume. Cela n’a pas fonctionné car la limite ductile du cuivre – le métal a commencé à se déstructurer – a été atteinte avant que le ciseau ne prenne sa forme définitive. Lors de l’essai sur la pierre, le ciseau s’est fendu en petites lamelles feuilletées.

- Méthode 3 : la forme du ciseau a été dégrossie à chaud sur la forge, en prenant soin de laisser suffisamment de métal à étirer pour obtenir un écrouissage à froid correct. Cette méthode s’est avérée fructueuse lors de l’essai sur la pierre ferme. L’outil, percuté sans retenue par le maillet, a bien attaqué la pierre sans s’abîmer. 

Détails - Mégalithe

17. Dans les faits, nous avons achevé la taille des 3 tranchées verticales en 6 journées de 6 heures par 5 personnes (quatre à la taille + une aide). Ce temps tient compte de nos hésitations, de nos réflexions et de notre apprentissage de la méthode. En théorie, la progression devait être plus rapide. Avec une progression moyenne quotidienne de 25 cm sur l’ensemble des tranchées (soit 4 m linéaires) la base du bloc serait atteinte en 4 jours. À ce terme, 2 m3 de roche auraient été extraits. On calcule ainsi qu’un homme pourrait extraire 0,125 m3 de roche par journée de 6 heures. Il s’agit là d’une base pour les estimations. Le rendement des carriers antiques était sans doute encore meilleur ; on peut raisonnablement penser qu’il était de 20 à 30 % supérieur à nos chiffres. Précisons enfin qu’il s’agit là de conclusions portées sur un calcaire local assez dur. Les chiffres pourraient donc varier sensiblement d’un site à l’autre en fonction de la qualité de la pierre.

21. Ces résultats peuvent être confrontés à l’expérimentation NOVA25 qui s’était intéressée à l’extraction des pierres pour la construction de la grande pyramide. Celle-ci ayant été réalisée avec des outils modernes en acier, la comparaison entre les deux expériences demeure toutefois très limitée. Il est rapporté qu’une équipe de 12 hommes ont produit 186 blocs en 22 jours, ce qui représente un rendement de 186/264 soit 0,70 bloc/homme/jour. Compte tenu de l’utilisation d’outils en acier, Mark Lehner pondère toutefois ce ratio à 322 blocs par jour pour 1212 hommes, soit un rendement à 0,26 bloc/homme/jour. Avec de telles performances, la grande pyramide qui est constituée d’environ 2,3 millions de blocs26 pourrait être construite en 20 ans. Selon nos estimations, l’extraction nécessiterait des effectifs plus importants ; pour atteindre un rythme quotidien de 340 blocs, il faudrait 4788 hommes. Si on augmente la période du chantier de la pyramide à 27 ans, ce qui est tout à fait envisageable, la production journalière requise descendrait à 250 blocs, ce qui nécessiterait en théorie 3521 carriers.

21. Enfin, nous avons constaté que la méthode d’extraction que nous avons expérimentée générait une quantité considérable de déchets dont le ratio est d’environ 1 pour 1 voire supérieur : un volume de pierre extrait produit le même volume en déchet. En considérant que le coefficient de foisonnement de la roche calcaire soit d’environ 1,5 – ce ratio correspond à une moyenne basse du calcaire fragmenté ou une roche concassée – nous obtenons pour 1 m3 de roche extraite 1,5 m3 de gravats, un matériau compactable et très stable qui peut servir pour la réalisation de rampes ou d’échafaudages. Si on estime que 2 000 000 m3 ont été extraits sur le plateau de Gizeh pour la construction de la pyramide, c’est près de 3 000 000 m3 qu’il a fallu évacuer ou plutôt utiliser. Avec un tel volume de matière disponible qui était produit en continu au fur et à mesure de la production des blocs, on comprend qu’il était logique et évident de l’utiliser pour élever des rampes ou des échafaudages. Ce constat va ainsi à l’encontre de l’idée parfois avancée que des systèmes autres que les rampes aient pu être utilisés pour monter les blocs dans la construction. On imagine ainsi volontiers qu’une grande rampe frontale ait pu être construite progressivement à mesure que s’élevait la pyramide ; une hypothèse qui n’interdit pas non plus la présence de rampes annexes reliant différents gisements à celle-ci.28 À la fin du chantier, les matériaux constituant les rampes pouvaient être nivelés et étendus en lieu et place des carrières ou pour corriger la topographie du site.

22. Conclusion
La découverte d’une carrière et des outils associés à ouadi el-Jarf a livré de nombreuses informations inédites sur les procédés d’extraction à l’Ancien Empire (fig. 21). En confrontant les outils retrouvés sur place – pics à gorge, cordes, pointes de ciseau en cuivre, maillets, enclumes – avec les traces laissées par ceux-ci mêmes dans les fonds des tranchées, nous avons affiné notre connaissance sur les méthodes employées. L’expérimentation que nous avons entreprise sur place, dans les conditions identiques à celles d’autrefois, avec les outils comparables et avec la même roche, a quant à elle permis non seulement de retrouver les gestes et les postures des anciens carriers mais également de comprendre comment s’organisait le partage des tâches au sein des équipes. Rappelons ici les informations majeures mises en exergue par notre expérience :

- Une remarquable connaissance de l’environnement géologique de la part des carriers.
- L’indispensable battage à froid régulier des pointes des ciseaux en cuivre pour les affûter.
- L’humidification du calcaire pour l’attendrir.
- La technique de fracturation de la pierre à l’aide de pièces de bois entrées en force.
- L’énorme quantité de déchets générée par la méthode d’extraction.

Les gestes et les méthodes qui ont été opérés à ouadi el-Jarf et que nous restituons à travers notre expérimentation sont ceux d’hommes très qualifiés, réunis en équipes extrêmement soudées. Nos résultats rapportent la grande force du système managérial égyptien qui savait développer des synergies en divisant adroitement les tâches certes, mais en s’appuyant surtout sur une combinaison parfaite des compétences de ses ressources humaines. Le marquage systématique des outils, des blocs ou des jarres tel que nous l’observons à ouadi el-Jarf, témoigne de l’importance de l’organisation des effectifs au sein des équipes. C’est ce qu’atteste également l’exceptionnel papyrus de Merer découvert sur le site.

Sources - Mégalithe

 


Video


 

Pyramids Builders: New Clues
19. Expérience : Extraction d'un Bloc de 1.5mètre cube  de Calcaire avec outils en cuivre à Wad El Jarf
Test avec de l'eau 
21. Affutage des outils en cuivre toutes les 30min 
23. 8 jours pour extraire le Bloc de Calcaire 
Sans eau : 2 à fois plus long 

 


Livre


 

L’extraction des blocs en calcaire à l’Ancien Empire - Une expérimentation au ouadi el-Jarf