Tous les textes trouvés à Nag Hammadi sont importants et ont tous enrichi notre compréhension du gnosticisme et plus généralement du christianisme ancien. Toutefois, ils sont denses et pour la plupart, difficiles à lire et à comprendre. L'Exégèse de l'âme est une exception. L'auteur a usé de sa connaissance des romans hellénistiques pour donner à son enseignement un cadre qui est immédiatement captivant. Il s'agit ici de l'interprétation d'un texte portant sur la question de l'âme, son origine et son devenir. Cet enseignement fortement gnostique concerne la chute et l'éventuel salut de l'âme, personnifiée ici comme une victime impuissante tombée dans un monde de voleurs et de brigands.
L'Exégèse de l'âme est le sixième texte du codex II de Nag Hammadi. Ce texte est inventorié avec l'ensemble du codex II, sous le numéro 10544 au Musée copte du vieux Caire. L'Exégèse de l'âme est précédée de l'Apocryphon de Jean, de l'Évangile de Thomas, de l'Évangile de Philippe, de l'Hypostase des archontes et de l'Écrit sans titre sur l'origine du monde, et suivie du Livre de Thomas.
Cet écrit, qui nous est parvenu dans sa traduction en copte sahidique, mais dont la langue originale serait le grec, aurait été écrit dans un milieu pénétré de thèmes philosophiques d'inspiration platonicienne et de récits homériques, et marqué par une religiosité gnostique naissante. Ce traité, adressé selon toute vraisemblance à des chrétiens d'Alexandrie dans le deuxième quart du IIe siècle, apporterait un précieux éclairage à la question des origines du gnosticisme comme à celle des commencements du christianisme alexandrin.
Le récit commence par la chute de l'âme dans le monde, lorsqu'elle tombe aux mains de brigands qui l'insultent et abusent d'elle (127,25-128,4). Ayant perdu sa virginité celle-ci est déçue par leurs mensonges. L'âme se détourne d'eux, court vers d'autres amants, mais ceux-ci finalement l'abandonnent et elle reste seule. Ses tentatives de repentance échouent jusqu'au moment où le Père, abaissant son regard vers l'âme, la purifie et la protège contre les nouvelles attaques à sa vertu (131,19-132,2). Le Père envoie du ciel son véritable époux. Ils célèbrent ensemble leurs noces spirituelles (132,27-133,6) et le Père régénère l'âme, lui permettant de retrouver sa jeunesse perdue et sa beauté. La régénération, écrit l'auteur, est la vraie ascension vers le ciel, la vraie résurrection des morts (134,13-14). Le texte prend fin par une exhortation (135,4-137,26) invitant le lecteur à se repentir, honnêtement, comme l'âme l'a fait, et à implorer l'aide et la miséricorde du Père.
L'auteur a introduit dans le texte narratif de nombreuses citations provenant de différentes sources. Dans l'Ancien Testament, les plus longs passages cités viennent des grands prophètes, Jérémie, Osée et Ézéchiel cités dans un même florilège, (129,8-22; 129,23-130,11; 130,11-20), Isaïe et les Psaumes, (136,4-8,9-15; 133,16-20; 134,16-25; 137,16-22). Il faut y ajouter trois passages de la Genèse (133,6-20; 133,9-10) et un extrait d'un apocryphe d'Ézéchiel. Dans le Nouveau Testament, l'auteur utilise également deux extraits pauliniens, tirés de la Première Épître aux Corinthiens et de l'Épître aux Éphésiens, (133,3; 131,9-13), une phrase de l'Évangile de Jean et de l'Évangile de Luc ainsi que deux passages de l'Évangile de Matthieu (135,1-4; 135,19-21; 135,16-19). Deux extraits de l'Odyssée d'Homère se retrouvent également dans le récit.
Dans son analyse du texte, le professeur Sevrin étudie à la fois l'histoire en elle-même et les citations qui lui ont été ajoutées. Il analyse les citations, leurs relations entre elles et avec le récit. Il émet l'hypothèse que l'auteur de l'Exégèse de l'âme n'a probablement pas eu accès aux textes originaux mais à un florilège. Certains florilèges ont sans aucun doute existé, mais il est rare de trouver des textes qui permettent de prouver leur utilisation. Ce dossier de citations et certains aspects platoniciens de la doctrine du récit suggèrent que ce texte provient d'un milieu scolaire. Le professeur Sevrin examine aussi attentivement les relations entre l'inspiration platonicienne du mythe qui est le corps du texte et son évidente christianisation par l'auteur. Il suppose que ce texte représente un gnosticisme pré-valentinien car, tel qu'il est décrit, le mythe philosophique a pris une teinte gnostique indiscutable. Tous ces indices le font converger vers Alexandrie comme lieu d'origine de ce texte, qui pourrait être daté entre 120 à 135 de notre ère. Ce texte est intéressant pour la connaissance du développement du gnosticisme et du christianisme alexandrins, ainsi que pour la connaissance du milieu dans lequel l'auteur l'a écrit, milieu que nous devinons être le réceptacle de toutes les idées nouvelles.